Dans mes romans de la série Alnaïr, la sorcière, vous pouvez découvrir que cette jeune métisse de La Réunion est une descendante de Grand-mère Kalle. Pas commode, l’aïeule, avec son fichu caractère et son allure effrayante.

Grand-mère Kalle (Granmèr Kal) est un personnage légendaire de La Réunion. Vieille femme aux allures de sorcière, elle apparaît en tant que telle dans des contes où différentes versions se côtoient, mais dont l’issue reste toujours tragique pour cette femme dépeinte en oiseau de malheur.
(la voici telle que je l’imagine à travers les création de Freepik IA)
Connaissez-vous les légendes réunionnaises qui entourent cette figue emblématique du mal?
Une esclave au destin tragique
*Selon les versions, dans sa jeunesse Grand-mère Kal, fut une esclave employée à Mahavel (Etang Salé), prénommée Kala. C’était une femme à la beauté ensorcelante, au point que Zelindor, esclave marron (évadé dans la montagne), en fit son épouse. Cette dernière n’était pas appréciée des fugitifs, puisque, esclave d’intérieur, elle bénéficiait de la confiance de sa jeune maîtresse. Kala dénonça d’ailleurs Zelindor, lorsque celui-ci, par mégarde, enleva sa maîtresse à sa place. Pour cela, elle sera tuée et ses os jetés au fond d’un gouffre vers le Trou aux esclaves (Saint-Gilles les Hauts).
*Une autre légende en fait une belle et jeune esclave tombée amoureuse de son maître, le fils d’un grand propriétaire. Ce dernier surprit les deux amants, une nuit de pleine lune, dans la petite case de la jeune esclave et entra dans une colère si effroyable que son fils se serait jeté à la mer du côté de la Pointe au Diable. Kala préférant la mort à la douleur de l’esclavage en solitaire, se jeta elle aussi dans les flots déchaînés. Depuis ce jour funeste on entend les hululements lugubres du fantôme de Kala : des falaises où vit le Pétrel de Bourbon, jusqu’aux ruines de l’usine sucrière sur les berges de la rivière Saint-Etienne, propriété de ses anciens maîtres.

Une tisanière de malheur
* Un jour, cette tisaneuse d’origine malgache soigna l’enfant de son patron. Pour la remercier, ce dernier l’affranchit. Kala s’établit du côté de la ravine des huîtres – rebaptisée bassin 18 – à Saint-Pierre, avec son petit-fils (sa fille Zélinda s’étant suicidée) Tikala. Mais les enfants du village accusèrent le petit d’être le descendant d’une sorcière (qui aurait sauvé l’enfant du maître par magie), ils le lapidèrent et je jetèrent dans le Bassin 18. Depuis, Grand-mère Kalle est devenue mauvaise : elle enlève les enfants à la tombée de la nuit et les jette dans la ravine où son petit fils est noyé, pour lui tenir compagnie.
C’est cette légende qui a donné lieu au jeu de Granmèr Kal du type chat perché : un enfant désigné comme la grand-mère Kalle est revêtu d’un grand châle, les autres enfants lui demandent l’heure, Kalle répond l’heure de son choix au hasard, mais quand elle crie: « minuit » en touchant un autre enfant, il devient Kalle à son tour.
*Une autre légende, moins connue, dit qu’avec ses dons de prévoyance, la tisaneuse alerte un village côté Grand Sable d’un danger. Ceux qui l’on écouté sont partis et les autres sont décédés dans l’effondrement situé dans la rivière des Remparts (fait réel survenu dans les années 60). C’est à partir de là qu’on a associé Grand-mère Kalle à un oiseau de malheur.

Une cruelle propriétaire
*Une autre légende raconte qu’elle vit dans une case de Vétiver du côté de Grand-Bois, près du pont de la Ravine des Cafres. Elle cache chez elle des condamnés et chaque fois qu’un voyageur passe à proximité de sa case, elle l’invite à boire le café avec un petit verre de rhum. Si ce voyageur possède de l’argent, les condamnés le suivent sur le chemin et au passage de la Ravine des Cafres, le dévalisent avant de le précipiter au fond du ravin. Cette femme a fait commettre tant de crimes par ses condamnés, que lorsqu’elle est morte, son âme s’est envolée par la toiture de sa case. Désormais, elle n’a plus de tête et porte un grand chapeau au bout de son cou. Elle passe annoncer la mort la nuit en rodant près des cases. Elle vient chaque fois que quelqu’un est gravement malade. Si elle ricane d’une voix sinistre, elle annonce la mort. Si au contraire elle passe en pleurant, c’est bon signe pour le malade.
*Enfin, une légende dit que Grand-Mère Kalle aurait été une méchante propriétaire connue pour maltraiter et mépriser ses esclaves. Un jour, l’un d’eux se rebelle et planifie de s’enfuir avec ses compagnons d’infortune. Pour mettre en œuvre leur évasion, les esclaves empoisonnent leur maîtresse et s’échappent dans le cirque de Mafate (où ils vécurent heureux par la suite, ouf!). La méchante propriétaire se transforme alors en grand oiseau noir et on raconte qu’aujourd’hui encore, c’est son cri si particulier qui prévient les familles d’un malheur imminent.
Pour ma part, je pense que cette dernière version est une confusion avec l’histoire (réelle) de Madame Desbassyns, véritable propriétaire terrienne du XVIIIe siècle, qui fut considérée comme un bourreau d’esclaves. L’une des plus célèbres rumeurs sur son compte prend source en 1910, lorsque des ouvriers travaillant près de son ancien domaine découvrent du ciment rougeâtre. On murmure alors que Madame Desbassyns aurait utilisé le sang de ses esclaves pour fabriquer des pierres de mortier. Dans les récits populaires créoles, elle est souvent associée à Grand-mère Kalle et on lui attribue des crimes abominables parce qu’elle symboliserait l’esclavagisme lui-même (ou parce que sa place de femme entrepreneur a pu susciter beaucoup de crispation). La légende dit qu’elle hanterait la côte ouest de l’île en compagnie de Kalle, et les éruptions du volcan sont en fait ses supplications, son âme expiant ses péchés dans son cratère.

Pour conclure
Grand-mère Kalle est la sorcière la plus célèbre de la Réunion et on lui attribue toutes les peurs, toutes les angoisses, toutes les noirceurs de l’âme. C’est l’expression aussi des forces telluriques dans une île et à une époque où tout était violence: violence des flots déchaînés, violence des pratiques magico-religieuses, violence des rapports de force entre le maître et l’esclave, entre l’homme et la femme, entre l’adulte et l’enfant. Il s’agit surtout d’une légende orale réalisant l’osmose entre le réel et l’imaginaire, de cette peur refoulée au fond des êtres, témoin d’un passé obscure et douloureux (il est intéressant de préciser que la racine indo-aryenne Kal signifie noir, ou obscur). Grand-Mère Kalle, est devenue le personnage emblématique de plusieurs légendes, personnage effrayant dont on menace les enfants désobéissants, ce qui me fait l’appeler dans mes romans, un croquemitaine femelle…
Mais qui est le croquemitaine? Suite dans un prochain article…
Si vous désirez découvrir les folles aventures d’Alnaïr, de la lignée des Kalle, rendez-vous par ici: BOUTIQUES . Bonnes lectures.
Cet article me replonge dans bien des souvenirs de cette île magnifique.
Pareil pour moi!
Je ne connaissais pas ces légendes, c’est toujours très instructif de vous lire. Merci.
Merci beaucoup.
Wow, elle fait peur la grand-mère!
C’est bien vrai, et dans mes romans, c’est… pareil!
On voit que la tradition orale a été bien mélangée pour donner autant de versions… attention, quand même, à ne pas entendre le cri de grand-mère Kalle!
En effet!!!