Autoédition : le talent selon l’étiquette ?


En ce moment, je lis beaucoup de remarques méprisantes sur les auteurs autoédités les imposteurs, en comparaison à des éloges sur les auteurs édités, les légitimes. Alors, qu’en est-il de l’hybride ? (non, ce n’est pas un personnage de fantasy, mais un auteur à la fois édité et autoédité). Il écrit bien sous contrat et mal en indé, (même avec une équipe pro derrière lui)? Un même stylo a donc un mode génie et un mode brouillon selon qui le diffuse ?

Développons…

Dans l’imaginaire collectif, soigneusement entretenu par une certaine presse littéraire, l’auteur autoédité serait un écrivain raté, recalé par toutes les maisons d’édition, qui s’entête à publier malgré l’avis du bon goût. Cette figure de l’imposteur revient régulièrement sous la plume de journalistes, comme dans cet article du Monde du 1er avril 2025 affirmant que « les auteurs autoédités… ne vendent que 22 exemplaires imprimés par livre, contre 1 458 pour un ouvrage publié chez un éditeur classique ». Traduction implicite : si l’on vend peu, c’est que l’on écrit mal (NB: mon roman « Comme un Parfum d’immortelle » a dépassé les 40 000 lecteurs… OUPS!)

Une telle vision ignore la réalité du secteur, tout en révélant une crispation face à un marché en pleine mutation. L’auteur qui publie seul échappe aux circuits traditionnels, dialogue directement avec son lectorat, construit parfois une notoriété sans aval éditorial. Cette liberté dérange. En dénonçant l’autoédition comme un péril pour la littérature, on cherche avant tout à réaffirmer une hiérarchie menacée. Refuser de reconnaître ce glissement, c’est défendre une carte obsolète d’un territoire déjà transformé.

Si l’auteur autoédité est supposément médiocre et l’auteur édité par définition légitime, comment classer celui qui fait les deux ? L’hybride trouble les lignes. Faut-il croire que son style alterne entre illumination et nullité selon la collection où il paraît ? Le même texte, lu avec enthousiasme chez un éditeur, deviendrait-il fade s’il est publié en indépendant ? La logique du stéréotype se délite dès qu’on y confronte la réalité.

Dans mon cas, le choix de l’hybridité relève d’un équilibre lucide. L’autoédition me permet de vivre de ma plume. L’édition traditionnelle me donne accès à d’autres canaux : grands salons, présence en librairie, prestige symbolique. Je le dis sans détour : je publie chez un éditeur pour la gloire (j’entre dans le stéréotype avec les pieds dans le plat). Ce n’est pas une révolte contre le système, c’est un clin d’œil. Une façon de faire un pied de nez à ceux qui méprisent les romans indés tout en vantant les édités… sans soupçonner qu’ils ont parfois le même auteur.

L’autoédition n’est plus un phénomène marginal. Elle représentait en 2024 plus de 25 % des livres déposés en France (Le Monde, 2025). Ce chiffre seul devrait suffire à réviser les jugements expéditifs. Contrairement à l’idée reçue, la facilité de publier ne signifie ni amateurisme ni absence d’exigence. Un auteur indépendant sérieux travaille avec une équipe : correcteurs professionnels, graphistes, maquettistes, bêta-lecteurs, parfois même attachés de presse. Il finance son projet, le supervise, s’implique à toutes les étapes. Ce n’est pas un écrivain du dimanche, c’est un éditeur à part entière.

Le Monde soulignait déjà en 2019 que les plates-formes d’autoédition séduisent « de plus en plus d’auteurs confirmés », attirés par une « autonomie créative et une gestion directe des revenus ». De son côté, Le Figaro rappelait que des auteurs comme Jacques Vandroux ou Agnès Martin-Lugand, Amélie Antoine ont commencé en autoédition avant d’être repérés par des éditeurs (donc, leur plume valait le coup?) À l’international, Hugh Howey a commencé en autoéditant Silo, une dystopie à succès éditée ensuite, puis portée à l’écran. De même, Andy Weir a d’abord publié The Martian (Seul sur Mars) sur son blog, puis en ebook autoédité, avant d’être racheté par une grande maison d’édition et adapté au cinéma. Le parcours inverse existe aussi : Stephen King, pionnier dans de nombreux domaines, a expérimenté l’autoédition dès 2000 avec The Plant, publié directement en ligne sur son site web. Marc Lévy, Joël Dicker ou Romain Puértolas ont quitté les grandes maisons pour s’autoéditer ou créer leur propre structure. Ces trajectoires rappellent une vérité simple : l’édition n’est pas un label de qualité, mais un canal de diffusion parmi d’autres. L’autoédition n’est pas une voie de garage, c’est une autre voie. Elle ne garantit ni le succès ni la qualité, pas plus que l’édition traditionnelle. En revanche, elle exige rigueur, autonomie, lucidité. Qualités qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont jamais été incompatibles avec la littérature.

Avant de clamer la décadence des lettres, ouvrir le livre reste la méthode la plus fiable pour se faire une idée (pas une idée reçue). Le plaisir de lecture ne porte pas de code-barres. Il naît d’une voix, d’un souffle, d’un ton. Que le roman sorte d’une grande maison ou d’un clic sur une plateforme, il mérite d’être lu avant d’être étiqueté.


Le Monde – 1er avril 2025 : Les grandes illusions de l’autoédition Auteur : Nicole Vulser
Le Monde – 16 mars 2019 : Pourquoi les plates-formes d’autoédition séduisent de plus en plus d’auteurs confirmés Auteur : Mathilde Loire
Le Figaro – 3 janvier 2019 : Rentrée littéraire : ce qui vous attend Auteur : Alice Develey
Le Figaro – 9 juillet 2016: L’autoédition, un tremplin vers la librairie ?  Auteur : Julie Psaume


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Cet article a 28 commentaires

  1. Fabrice L

    Fabrice Laplace
    Oui je suis d’accord,
    Et oui le plaisir de la lecture,
    C’est bien le principal ❤️

    1. LaureEnza28

      Oui! C’est exactement ça!

  2. Célia I

    Célia Ibanez
    Je pense que la vraie différence entre auto-édition et édition traditionnelle (avec un VRAI éditeur et non des charlots), c’est le travail de correction. Et je ne parle pas de simples erreurs d’orthographe ou de conjugaison mais véritablement de syntaxe, de tournures impropres, de maladresses stylistiques etc… Énormément d’auteurs autoedités se font corriger par leur copine Josette, prof de français au collège, ou Jean-Robert, leur pote qui est bon en français (et qui lit beaucoup) 🤣 Je ne m’ en moque pas car je suis passée par là dans ma naïve jeunesse , et justement, j’en ai fait les frais… avec des livres plein de fautes. Un bon scénario reste un bon scénario, mais la correction par des professionnels fait toute la différence. J’ai pu le constater en travaillant main dans la main avec une vraie correctrice (de Prix Goncourt) sur mon dernier roman et c’est impressionnant à quel point ça va dans le détail. Il y a en effet beaucoup de subtilités qu’Antidote ne maîtrise pas. Sans parler des histoires de rythme…….
    ps: *mais ma correctrice a quand même oublié un mot, et l’amende est devenue amande. Une coquille sur plus de 300 pages. Qui m’a quand même empêchée de dormir 😒

    1. LaureEnza28

      Tu as raison, pour les auto-édités pas pro… il faut s’entourer d’une vraie équipe pro de bêta lecteurs et de correcteurs. Ma correctrice est diplômée et a obtenu 1000/1000 au Voltaire, Orthoplus Correctrice-Romancière Virginie Solevar et je peux te dire que son travail est au millimètre.

  3. Richard T

    Richard Tabbi
    Pourtant on trouve un paquet de fautes dans les livres édités par les éditeurs ayant pignon sur rue, y compris les plus prestigieux. L’édition au sens large est en pleine mutation et il serait bon d’apporter quelques nuances…

    1. LaureEnza28

      Eh oui, je l’ai remarqué aussi.

  4. Marie N

    Marie Nocenti
    Totalement d’accord avec toi, d’autant plus que j’ai les 3 casquettes ! Grande ME (Plon) petite ME (IsEdition) et auto édition.

    1. LaureEnza28

      Hi hi, plus qu’une hybride, une hydre!

  5. Florence J

    Florence Jouniaux, Auteure
    Tout à à fait ! ☺️😘 100%

    1. LaureEnza28

      Merci, on est d’accord! Surprise, moi?

  6. Colette L

    Colette Lorenzi
    Tu es comme Persephone ! Moitié ombre Moitié lumière !

    1. LaureEnza28

      Parfois oui, j’ai l’impression et même sur d’autres sujets!

  7. JB A

    Jb Auteure
    Bien dit! Une mauvaise expérience avec les maisons d’éditions. Je suis en auto-edition dorénavant.

    1. LaureEnza28

      Il est vrai que certaines ME ne sont pas pro, il faut se méfier aussi. Heureusement, d’autres sont géniales, c’est comme en AE, en fait! Comme les melons, hi hi, il faut en tester beaucoup pour trouver le bon…😉

  8. Cécile V

    Cécile Vion
    L’appartenance à un grand groupe n’est en rien gage de qualité. C’est un peu comme de comparer une cuisine de restaurant avec une cuisine collective. Personnellement, je préfère les saveurs atypiques aux plats prémâchés avalables par le plus grand nombre. sans aucun parti pris , bien sûr 😁

    1. LaureEnza28

      La saveur de l’authenticité!

  9. Cécile V

    Mais au moins en tant qu’indépendant, nous avons une certaine liberté, nous ne sommes pas obligés de coller à des standards, et on peut surprendre le lecteur !

    1. LaureEnza28

      Tout à fait d’accord.

  10. Régis C

    Régis Chaperon
    Disons que, ne nous voilons pas la face, l’autoédition n’est pas encadrée, donc on peut publier une vraie bouse pleine de fautes d’orthographe, de grammaire, de syntaxe, et vendre. Alors, pas longtemps, les avis de lecteurs feront le tri, mais le nombre d’apprentis auteurs se multiplie. On parle de plus de 100 000 auteurs en herbe en France…
    Personnellement, j’ai arrêté de lire les critiques gratuites contre les auteurs autoédités. J’écris. Du mieux que je peux. J’ai mon équipe de bêta-lecteurs, ma correctrice, publier un roman me prend 500 heures de travail, je fais des semaines de 70 heures depuis cinq ans et… je suis heureux.
    Il ne sert à rien de vouloir convaincre un lectorat allergique aux autoédités. Je passe donc mon chemin. 😉

    1. LaureEnza28

      Oui, comme toi, je passe mon chemin la plupart du temps… mais l’accumulation (surtout dans la presse) provoque parfois la réaction…

  11. Jarod C

    Jarod Chasseur de Coquilles
    Étant simple lecteur, je ne prends pas en compte si l’auteur est auto édité ou pas. Je ne retiens que le plaisir que me procure le livre. Par contre, je hurle à l’imposture quand un document est truffé de fautes, roman auto édité ou non, document officiel, publicité, ou article de presse….
    Mais je crois que le correcteur (le vrai) est un passage indispensable. Dernièrement, j’ai contacté un auteur auto édité pour (gentiment) lui faire comprendre que son roman était imbuvable à cause de la multitude d’erreurs. Après avoir échangé avec lui (une personne dyslexique), j’ai accepté de jouer le rôle de la copine Josette ou de Jean Robert (comme le dit si bien Célia Ibanez). La curiosité de l’expérience… J’en suis sorti convaincu que malgré son bon vouloir, les quelques connaissances que l’on pense avoir et la béquille IA, rien ne vaut le talent d’un vrai correcteur ! Alors bien sûr, je suppose qu’il y a des exceptions, des personnes qui maîtrisent tout (de l’écriture à la promo, en passant par l’illustration), mais je crois que le DIY a parfois certaines limites.

    1. LaureEnza28

      Oui, tout à fait, je dis bien dans ma publication que je parle d’autoédites pro, entourés d’une équipe de pro (bêta, correction, illustration, graphisme)

  12. Didier L

    Didier Larèpe, auteur
    Entièrement d’accord. D’autant que si on est édité par une toute petite maison d’édition, comme ça a été mon cas, elle ne fait rien ou presque en terme de promo et il faut tout faire comme un autoédité. Donc, quitte à faire tout le boulot, j’ai arrêté de chercher un éditeur et je me lance dans l’autoédition pour la suite (avec, forcément, un très mauvais roman, bien plus mauvais que ne l’était le précédent qui n’avait été remarqué que par une « toute petite maison d’édition »). Et je vous parle même pas des très très mauvais textes que je publie régulièrement en lecture gratuite sur un site d’échanges entre auteurs et lecteurs (Atramenta.net). 😉

    1. LaureEnza28

      Oui, vive « la mauvaise réputation » comme dirait Brassens…

  13. Arlette B

    Arlette Béal
    On voit de plus en plus de maisons d’édition ne fournissant pas un travail de correction de qualité. De même quand on lit les journaux on se demande souvent où est passé le correcteur…

    1. LaureEnza28

      Je me fais souvent la même réflexion.

  14. Fanny LR

    Fanny Le Rouhet
    Malheureusement ceux qui méprisent les AI font un amalgame. Ils ignorent l’existence des Pro et oublient le plus important : le plaisir de lire un bon livre.

    1. LaureEnza28

      Tout à fait d’accord!