Comédie du trottoir et idées reçues


J’ai eu le plaisir d’être invitée à la Comédie Off du Livre de Montpellier, une manifestation portée par l’association Vive Montpellier Nord, qui milite pour une culture ouverte, vivante, et accessible. Cette deuxième édition réunissait une cinquantaine d’auteurs locaux ou du Grand Sud dans des lieux chaleureux du centre-ville, cafés, restaurants, commerces ; le temps d’un week-end consacré au livre sous toutes ses formes.

L’événement se tenait en parallèle de la Comédie du Livre officielle, qui, elle, n’admet pas les auteurs indépendants. Ce qui me fait doucement rire, puisque j’étais également « présente » sous le chapiteau officiel grâce à ma maison d’édition. Autrice hybride, double passeport : mes dédicaces ont effectué l’aller-retour entre les mondes. Un pied dans la rue, l’autre sur le tapis rouge. J’ai toujours aimé la souplesse.

Cependant, avant de savourer l’ambiance montpelliéraine, il a fallu franchir quelques épreuves. Installer un stand en plein cœur historique, entre rues piétonnes, barrières de chantier et parkings labyrinthiques, relève de l’expédition. Il était impossible de débarquer les livres à proximité. J’ai donc multiplié (avec Christine Hainaut, ma précieuse amie et collègue et hôte pour le week-end) les allers-retours avec mon diable chargé de caisses bringuebalantes.

L’ascenseur du parc de stationnement souterrain refusait d’atteindre le sol ; il fallait continuer à pied, les reins en alerte et l’épaule en capilotade. J’ai visité les ruelles pittoresques… avec l’élégance d’une mule de bât. Le cardio littéraire a de l’avenir. Le lieu, partagé avec la terrasse d’un restaurant, offrait une belle visibilité, mais aucun espace de stockage. Le local Big Fernand est minuscule et rempli de hamburgers frites, nos tables et caisses de livres devaient être montées chaque soir au grenier. Le lendemain, tout redescendait. Cette gymnastique verticale mériterait à elle seule une médaille. Ou un bon kiné.

Heureusement, le charme de Montpellier compense largement ces acrobaties logistiques. La place Jean Jaurès, inondée de soleil, bordée de mélias qui nous saupoudraient de fleurs comme des confettis, bruissait d’une énergie estivale. Un va-et-vient ininterrompu de passants, de touristes, de lecteurs en goguette, de néophytes qui veulent « écrire un roman aussi », de curieux qui s’arrêtent « juste pour voir » et parfois repartent avec un exemplaire ou deux sous le bras.

Alors oui, une vingtaine de livres vendus par jour, c’est une petite victoire, mais face aux milliers de badauds, ça reste une goutte dans la mer, une larme d’encre sur le trottoir. Au-delà des ventes, les rencontres donnent tout leur sens à l’expérience. Les échanges avec d’autres auteurs nourrissent l’enthousiasme. Les lecteurs « virtuels » des réseaux sociaux prennent soudain corps, voix, et chaleur humaine par leur visite impromptue (encore mille mercis). Les liens se tissent, les sourires s’élargissent, les discussions s’éternisent parfois!

Exercice intellectuel supplémentaire : composer avec les regards sceptiques. Certains visiteurs interrogent avec véhémence notre présence sur la voie publique : « Pourquoi vous êtes dans la rue ? Ce n’est pas un vrai salon. Vous n’êtes pas de vrais auteurs. » Je précise (gentiment, mais non sans ironie) à ceux qui doutent de la légitimité du Off que certains de mes romans figurent aussi sous le chapiteau officiel. Il ne s’agit donc pas d’une consolation, mais bien d’un choix.

Je comprends que l’on puisse se poser des questions, mais je rejette les jugements hâtifs. Certains semblent considérer que le Off serait une roue de secours pour ceux qui n’auraient pas leur place au soleil. Pourtant, les raisons de notre présence ici sont multiples, choisies, souvent joyeusement revendiquées. Dans mon cas, il ne s’agit pas d’un plan B, mais d’un « et en plus ». Cette année, je suis ici. Une autre fois, je serai là-bas. Les deux expériences nourrissent ma pratique, mon engagement, et ma liberté.

Je refuse d’opposer ces deux mondes. La Comédie du Livre officielle œuvre, elle aussi, pour la culture et la rencontre. Elle réunit chaque année des plumes admirables, des maisons exigeantes, des lecteurs passionnés. Elle suit un certain cadre, une certaine sélection, dictée par des critères éditoriaux, logistiques, ou commerciaux. Le Off, de son côté, élargit le cercle. Il tend la main à des auteurs qui n’ont pas les codes ou les contacts, mais qui ont la même passion des mots. Il permet aux autoédités, aux micro-éditeurs, aux voix nouvelles ou singulières, de rencontrer leur public sans filtre. Il recrée, au pied d’un café ou sur une terrasse, une proximité rare entre « écrivants » et lecteurs. Il rappelle que la culture n’a pas besoin de badge pour exister. Elle caracole dans la rue, elle fleurit sous les arbres, elle s’invente partout où quelqu’un tend un livre avec sincérité. Il n’est pas question de mépris ou de revanche. Seulement de variété, de complémentarité et de respect.

Participer à la Comédie Off du Livre, c’est s’exposer aux éléments, à la fatigue, aux idées reçues. Mais c’est aussi s’inscrire dans une dynamique joyeuse, accessible, vivante. C’est soutenir une vision de la lecture plus large, qui n’exclut personne. Je tiens à saluer le travail des organisateurs et des bénévoles, ainsi que le courage des structures qui défendent la diversité littéraire. Car derrière les stands, les parasols et les piles de bouquins, vibre une lutte réelle pour la reconnaissance, la liberté, et le plaisir de lire.


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Cet article a 28 commentaires

  1. Sandrine MK

    J’adore ! Je partage.

    1. LaureEnza28

      Grand merci!!!

  2. Thalie B

    Profitez bien !!!!

    1. LaureEnza28

      Ouiiiiiiiiiiiiiiiiii merci!

  3. Solène R

    Oh mais tu es ici! zut flûte je suis en salon aussi, je ne peux pas passer te voir… 😥

    1. LaureEnza28

      Eh oui, si on pouvait avoir le don d’ubiquité, ça serait trop bien!

  4. Viviane B

    Bon salon les filles! Bises

    1. LaureEnza28

      Merci beaucoup!

  5. Dominique I

    Punaise, en plus de muscler ton cerveau, tu muscles ton corps, Laure Enza Lorenzi. Tu n’arrêtes pas de m’impressionner. Bon salon à toi.

    1. LaureEnza28

      Oui, parfois c’est quand même un parcours du combattant, ces salons!

  6. Aurélie D

    Belle journée à toi Bravo!

    1. LaureEnza28

      Merci beaucoup!

  7. Corinne B

    Belle journée !

    1. LaureEnza28

      Elle le fut!

  8. Patrick E

    Superbe ! Je te souhaite plein de succès et plein de dédicaces ! Bon salon !

    1. LaureEnza28

      Mille mercis!!!

  9. Florence J

    Belle journée de rencontres !😊😘

    1. LaureEnza28

      Merci oui, c’était le cas… plus ou moins, ah ah!

  10. Nathalie M

    Belle journée et belles rencontres.

    1. LaureEnza28

      Merci beaucoup!

  11. Audrey F

    Une des villes où j’ai travaillé avant mon départ

    1. LaureEnza28

      Très agréable ville!

  12. Nelly & Lucas

    Trop bieng 😍

    1. LaureEnza28

      Oh yeah! Venez à Montpellier!

  13. Anthony G

    Anthony Galera
    On serait venus te voir si on avait été dans le sud. Bon salon sous le soleil 🤩

    1. LaureEnza28

      Eh oui! Cela fait un peu loin depuis Tramoyes!

  14. Viviane

    Viviane Blanchard
    J’espère que les lecteurs étaient là ! Parce que vous les écrivains, vous méritez de les rencontrer.
    Bravo à tous !

    1. LaureEnza28

      Mille mercis pour ces encouragements!