C’est la fête du slip, dit-elle!

Il y a peu, j’ai publié une question sur les RS à propos d’un point de grammaire qui me faisait souci dans mes lectures actuelles: les incises de dialogues. Je développe dans cet article cette drôle d’aventure stylistique dont le sujet brûlant a suscité 152 commentaires.

Question de style du jour. Dans les dialogues, la règle veut que les incises présentent une inversion du sujet et du verbe (dis-je, demande-t-il). En ce moment, je vois émerger dans mes lectures contemporaines (même chez de grands auteurs connus) une tendance qui renonce partiellement à cette règle, surtout dans la narration au présent et à la première personne. Je suppose que c’est une façon d’éviter l’emploi du « é » euphonique (demandé-je, pensé-je) pour les verbes du premier groupe. Mais le résultat est perturbant à mon avis, car l’inversion est bien conservée par ailleurs. Ce mélange des emplois gêne ma lecture: c’est comme si l’auteur confondait narration et dialogue. Et vous, que pensez-vous de ces libertés avec l’usage?

Cela donne des dialogues du genre:


« Pourquoi? je demande.
-Parce que, dit-elle.
-Mais j’insiste, je rétorque avec agacement, pourquoi agir ainsi?
-Parce que c’est la mode, répond-elle encore. »

La plupart des lecteurs avouaient ne pas y prêter attention, les plus classiques étaient comme moi agacés par cette entorse au bon usage. Mais un grand nombre de participants a plaidé la cause de cette non inversion (qui est fausse) sous prétexte que la langue doit bien évoluer, que cela évitait d’utiliser le « é » euphonique « ampoulé » et qu’un auteur avait le droit d’écrire comme il veut au nom de son style.

Ces réponses m’ont donné à réfléchir sur le rapport des auteurs contemporains à l’écriture. Surtout celles des auteurs qui disaient: « j’ai fait ce choix », « j’ai choisi d’écrire comme ça », « ça ne me plaît pas l’inversion »comme si c’était parfaitement naturel. Comme s’il était possible de choisir à la carte en grammaire française sur le simple fait qu’on est écrivain.

Par dérision d’autres exemples me sont venus à l’esprit, pour montrer qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut, même au nom de l’évolution de la langue. Par exemple, serait-on prêt à entendre ce discours : « je n’aime pas les majuscules, j’ai fait le choix d’écrire sans majuscules, c’est mon style »? Ou encore, « je n’aime pas conjuguer les verbes, c’est mon style, j’ai le droit de faire évoluer la langue ». Ne pas utiliser l’inversion des incises revient à tenir ce genre de discours à propos de n’importe quelle règle.

D’autant que, si on n’aime pas l’inversion des incises de dialogue, inutile de créer une erreur de grammaire, il existe déjà une solution pour les éviter. On utilise les verbes introducteur de parole dans le récit. Je reprends mon exemple ci-dessus pour illustrer cet usage parfaitement courant:

Je lui demande: « Pourquoi?
-Parce que, dit-elle.
Je rétorque avec agacement: « Mais j’insiste, pourquoi agir ainsi?
-Parce que c’est la mode, répond-elle encore. »

L’évolution de la langue existe, elle est lente, codifiée, entérinée par l’Académie française, pour éviter justement que chacun écrive à sa sauce. Par exemple, on m’a cité l’usage du subjonctif imparfait tombé aux oubliettes et qui montre qu’on peut s’émanciper de formules lourdes et désuètes, en effet l’utilisation du subjonctif présent est acceptée dans un texte au passé… mais cet usage a été ratifié par l’Académie française (en 1976). D’autres évolutions ont été proposées dans la réforme de 1990 et sont entrées dans les dictionnaires de référence.
J’ai l’impression que certains auteurs actuels (et leurs correcteurs?) ont décidé d’aller plus vite que la musique et s’arrogent des droits de grammairiens qui me laissent perplexe.

Pour ma part, je reste attachée aux règles (si nombreuses et compliquées) parce qu’elle sont le garant d’une certaine unicité. Si chacun écrit comme il veut au nom de la liberté, on ne va pas vers une évolution de la langue, mais vers une explosion. On s’éloigne de son universalité au nom d’individualités capricieuses.

Pour rappel, la règle veut que dans les incises, on observe une inversion du verbe et du sujet. Il y a une raison à cela, je me permet de citer Jacques Desrosiers(L’Actualité langagière) pour l’expliquer de façon bien plus professionnelle que moi :

« Comme l’interrogative, elle constitue un énoncé « inachevé » ou incomplet : « Marie dit » ou « dit Marie » ne veut rien dire en soi; le verbe appelle un complément direct. D’autre part, sans l’inversion, les deux propositions de notre exemple, « Pierre est parti et Marie dit », n’auraient aucun lien logique; elles seraient simplement juxtaposées : « Pierre est parti, Marie dit ». Et une fois le lien de dépendance effacé, plus rien dans la syntaxe n’indiquerait qui déclare que Pierre est parti : Marie ou l’auteur du texte? L’inversion signale que ce n’est plus l’auteur qui parle : la phrase est claire. (…). Il faut maintenant se rappeler que « Pierre est parti, dit Marie » reproduit en discours direct la phrase : Marie dit que Pierre est parti. Il est évident que dans le tour indirect la citation occupe la place d’une complétive. En passant au discours direct, elle reste complément du verbe de l’incise, même si elle le précède. Par l’inversion simple, le français cherche à garder le verbe le plus près possible de la citation, c’est-à-dire de son complément. »

Sur ce, je vais aller brûler quelques feux rouges, car j’ai décidé de réécrire le Code de la route, c’est plus dans mon style.

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