L’ebook, ce trésor qu’on vole en un clic

Quand les romans s’évaporent sur le web

Chaque parution littéraire devrait constituer un moment de joie : la concrétisation de mois de labeur, d’engagement et d’espoirs. On imagine le bonheur de voir son roman en ligne, prêt à rencontrer son public. Pourtant, pour de nombreux écrivains, cette joie est rapidement éclipsée par une douloureuse réalité : dès que le livre est édité, il apparaît sur des sites de piratage.

Pas quelques jours après sa sortie, mais dans les heures qui suivent.

On accuse souvent les fuites humaines : un chroniqueur trop généreux, un bêta-lecteur distrait, ou encore un exemplaire de presse égaré. Cependant, ce n’est pas la seule possibilité. Mes livres sont souvent disponibles sur des sites de piratage avant même que les critiques ne les aient lus, parfois dès leur première heure d’existence. Mon tout premier ouvrage publié en 2019, alors que personne ne connaissait mon nom et que j’ignorais la signification des « SP » (services de presse), a rencontré le même sort. La conclusion s’impose : ces fuites ne viennent pas forcément de l’équipe éditoriale, mais bien de pirates organisés.

Comment font-ils ?

Ils n’ont pas besoin de surveiller les maisons d’édition ni de subtiliser des écrits auprès des blogueurs.

Certains contournent les mesures de protection installées sur les livres vendus en ligne, ces fameux DRM (Digital Rights Management), censés empêcher la copie. D’autres récupèrent les dossiers depuis des fichiers à partir de comptes compromis ou extraient le texte d’exemplaires achetés légalement grâce à des logiciels spécialisés. Certains vont même jusqu’à scanner les versions papier pour les convertir en fichiers cryptés.

Résultat : en quelques heures, un roman se retrouve disséminé sur des dizaines de sites, souvent abrités à l’étranger, presque impossibles à faire fermer.

Que peut faire un auteur ?

J’ai tout essayé. J’ai envoyé des formulaires de retrait (les fameuses demandes DMCA pour le Digital Millennium Copyright Act, déclarations officielles utilisées pour dénoncer une violation de droits d’auteur), des lettres aux hébergeurs, des signalements à Google, des alertes automatiques, des notifications à Amazon. Le roman incriminé disparaît… pour ressurgir vingt-quatre heures plus tard ailleurs, avec un autre lien. C’est un peu comme le tonneau des Danaïdes : on vide un côté, et aussitôt l’autre se remplit. Un site ferme, et dix autres apparaissent. La bataille s’étire indéfiniment, elle est chronophage et rarement couronnée de succès.

Les pseudo-réconforts

On m’a souvent répété : « Les gens qui piratent n’achèteraient de toute façon pas ton livre. » Lorsqu’on télécharge un livre, c’est bien parce qu’on a envie de le lire, non ?

Si ce roman, proposé à moins de cinq euros (voire gratuitement avec un abonnement du genre Kindle Unlimited ou Kobo+), se révélait introuvable sur les sites clandestins, beaucoup choisiraient sans doute de l’acquérir, ou de l’obtenir légalement, comme c’est devenu courant pour la musique sur des plateformes telles que Spotify ou Deezer. L’occasion fait le larron : si le vol s’effectue en un clic, certains cessent simplement de voir que c’en est un.

Autre type d’excuse à deux balles (ou gratis) : « C’est l’accès à la culture pour les personnes qui n’ont pas d’agent ». La question de l’argent n’est pas en jeu, j’en ai la certitude. La plupart de ceux qui piratent trouvent toujours de quoi payer leur café au bar du coin (presque le prix d’un ebook), leur paquet de cigarettes (plusieurs ebooks) ou leur dernier smartphone. Certains consultent sans doute les livres volés sur un iPhone flambant neuf ou une liseuse dernier cri qui n’ont pas été volés (bah, c’est plus difficile de partir en courant du magasin, ça rendrait le vol bien trop réel).

Ces téléchargements « anodins » se comptent par milliers, et représentent autant de revenus perdus. Pour un auteur indépendant, ce n’est pas un détail : c’est un mois de travail, un loyer, ou tout bonnement le droit de continuer à écrire.

Non, ces lecteurs ne sont pas des défenseurs de la culture. Ce sont en tout et pour tout des consommateurs escrocs. Puisqu’ils ne veulent pas payer… ils pourraient au moins laisser un commentaire et des étoiles ! Une petite note, une critique (positive, tant qu’à faire), un mot d’encouragement : cela ne leur coûterait rien et aiderait réellement la visibilité des écrivains qu’ils pillent allègrement.

Que nenni, les pirates le sont jusqu’à l’os, ils ont même le clic avare.

Ne pas baisser les bras

Alors, pour ne pas sombrer dans l’amertume, il ne me reste que deux options : retourner écrire un roman feel-good pour me rendre un peu plus optimiste… ou un livre de sorcellerie pour leur jeter un sort.


Répondre à Laurence LH Annuler la réponse

Cet article a 16 commentaires

  1. Floh

    Moi je vote pour un livre de sorcellerie pour leur jeter un sort !!!!

    1. LaureEnza28

      Yeah moi aussi!

  2. Laurence LH

    Laurence Lopez Hodiesne Romancière
    Tout à fait d’accord avec toi 😥

    1. LaureEnza28

      Quel malheur!

  3. Jarod

    Jarod, chasseur de coquilles
    Merci pour cet article

    1. LaureEnza28

      Avec plaisir, même si le sujet ne fait pas plaisir, lui!

  4. Lunerielle G

    Lunerielle goldenoak
    Ça me sidère toujours. Personnellement, j’ai très peu de moyens financiers mais avec l’abonnement Kindle, je lis à gogo pour 10€ par mois et au moins, ça rémunère un peu les auteurices ! C’est vraiment honteux de voler les artistes…

    1. LaureEnza28

      Idem, je suis abonnée et je lis à volonté, il y a les boîtes à livres et les bibliothèques, les bouquinistes, Vinted, les prêts, les amis, tant de façons de lire à petit prix. La raison du prix m’énerve. C’est le plaisir de voler.

  5. Alex K

    Alex Kin
    C’est un tel fléau

    1. LaureEnza28

      Tout à fait, sur certains sites mes romans sont lus 200 fois par jour! C’est écoeurant.

  6. Pascale R

    Pascale Roure Romancière
    👏👏👏

    1. LaureEnza28

      Merci de ton soutien.

  7. Cécile A

    Cécile Adjuto
    😢😢

    1. LaureEnza28

      C’est bien triste.

  8. Lorenzi

    Trop triste! Surtout si vous, Auteurs, n’avaient pas de moyens pour arrêter ces vols !